Le Temps
Le temps. En ai-je peur ? Je ne saurais dire.
Le temps me trouble. Le temps, l’heure, la minute, l’horloge, l’horaire,
l’horreur. Le temps me tourmente. Tout est calculé, mesuré. La chute
inéluctable vers le bas, le point de non retour, la fin. Pourquoi me
tourmente-t-il tant cet impardonnable temps ? J’en ai trop, je n’en ai pas
assez. J’en veux encore, je le vendrais bien. Mais je ne peux pas le vendre. Il
n’existe pas. Je peux difficilement l’influencer. Il n’existe pas. Il régule
toute ma vie. Le paradoxe temporel est donc une étrangeté inouïe. Je permets au
néant, à l’irréel, l’immatériel de commander mon esprit, tout d’abord, et
ensuite, mon corps. Qu’est-ce qui est pire ? L’esprit ou le corps. A 3
heures du matin, je peux réfléchir de cette manière. J’ai cours à 8h du matin,
je peux soit, profiter de 4h de sommeil ou rester éveillé et affronter la
journée de cours dans un état second. La première proposition semble,
logiquement, la plus avantageuse. Qui dit sommeil, dit concentration, et par la
suite maximisation du profit de la journée scolaire. Et c’est là, que le temps
intervient. Car le temps sera fasciste quand la logique sera libertaire. Le
temps sera de gauche quand le corps sera de droite et ainsi de suite. Le temps,
dans sa représentation matérielle du radio-réveil, va vous faire écarter la
logique, et réfléchir longuement. Comment ? Et bien, je pense que le temps
c’est le scepticisme. Le temps est aussi l’insouciance (je développerais cette
idée plus tard) mais il est aussi le stress, le pessimisme et le scepticisme.
Le temps a cette vertu maléfique que d’être le plus paradoxal des… De quoi
d’ailleurs ? Je dirais un « élément », le temps est un élément
de la vie. Donc le temps est le plus paradoxal des éléments. Je hais tout ce qui
est logique, je hais le temps qui est illogique par essence, et je trouve tout
cela parfait.
Le temps et le scepticisme.
J’ai déjà éteint toutes les lumières, j’ai mis mon
pyjama et je me suis posé sur mon lit. Après avoir regardé quelques photos sur
mon ordinateur, la tête pleine de souvenirs, je tire le drap sur moi et
m’allonge. A ce moment, je me trouve dans une situation qui est la suivante.
Mon corps veut dormir, il est épuisé par une longue journée et le fait qu’il
est très tard, disons il est 3h30. Mon esprit, épuisé lui aussi par
l’épuisement de mon corps, et perdu dans les images fraîchement observées,
aimerait bien sombrer dans le sommeil qui serait pour lui l’occasion de créer
tout un univers fantasmagorique auquel il aspire. Le lit est tiède, j’ai bien mangé,
je n’ai pas bu de café. Rien de plus facile que de se laisser aller vers
l’univers des rêves. Cependant, je me retourne et jette un coup d’œil au
radio-réveil. Le temps numérique (3h30) devrait m’inciter à une seule
chose : dormir. C’est là que le temps immatériel devient le scepticisme.
Le temps est un élément qui cherche à désorienter l’esprit. Toute la beauté de
ce geste qui est de désorienter l’esprit, réside dans le fait que par la
désorientation de l’esprit, celui-ci s’insurge. Il s’insurge contre le corps.
Le corps veut dormir. L’esprit le prie d’attendre. A ce moment, l’esprit doute.
L’esprit se demande si le temps sera suffisant pour se coucher et se réveiller.
Ne vaut-il pas mieux rester éveillé jusqu’à l’heure du cours ? dit-il au
corps. Après tout, on doit se réveiller à 7h30. Le corps discute, il se lasse,
il veut dormir. Là, commence le conflit entre le corps et l’esprit. Vous savez,
quand vous êtes dans votre lit à cette heure tardive, ça sera souvent l’esprit
qui tendra à gagner, car intérieurement, si le temps est venu vous faire douter
de vous-même, c’est qu’implicitement, inconsciemment, vous le vouliez. En fait,
je me suis trompé, le temps n’est pas le scepticisme. Toute la question est une
question de lutte entre le corps et l’esprit. C’est comme Einstein parlant des
hommes marchant en rang et chantant, ces hommes n’ont pas à avoir un cerveau,
une moelle épinière leur suffit. Le conflit entre le corps et l’esprit, c’est
le passage des commandes au cerveau. L’usurpation par le cerveau des droits de
la moelle épinière. La fin de la logique, la fin de la rationalité acceptée de
tous. Sinon remettons ce conflit dans l’image que nous étions en train de
décrire, on pourrait la mettre comme suivant. La première situation se place
donc dans votre lit à 4h du matin disons. Vous ne dormez pas, car
inconsciemment vous ne le voulez pas. En apparence, le corps et l’esprit sont
d’accord. Mais inconsciemment, vous ne le voulez pas. Lui, ne veut pas dormir.
Dans la seconde situation, vous êtes en cours ou en conférence. L’ennui et la
fatigue vous guettent. Le corps fait semblant de résister au début, l’esprit
est catégorique il faut rester éveillé. Le « Lui » va donc
intervenir. Le « Lui » va faire en sorte que le conflit va s’installer
entre le corps et l’esprit et votre tête va tomber en avant. Le
« Lui » c’est la contradiction par excellence. Le « Lui »
c’est le fantasme, c’est l’interdit de l’esprit rationnel, c’est la révolte
perpétuelle. Le « Lui » sape les valeurs et les principes. Il lutte
avec l’esprit rationnel. L’esprit rationnel pense qu’il n’est pas acceptable de
s’en dormir pendant une conférence. L’esprit se base sur des principes et des
valeurs ancrés dans sa propre base. Le « Lui » est la mèche rebelle
de l’esprit. C’est la concrétisation de l’opposé de ce que l’esprit rationnel
souhaiterait. Toute sa beauté réside dans sa révolte permanente. Sa modernité
inexorable. L’expression du « Lui » se trouve dans la révolution,
dans l’art, dans l’excentricité, dans la trahison, dans l’interdit, dans le
charnel, dans le passionnel et dans l’intemporel. Le « Lui » et
l’intemporel sont étroitement liés. J’en reviens donc au temps. Le
« Lui » est pour moi le libérateur du temps, la voie vers
l’insouciance. Les artistes ont généralement un égocentrisme orgasmique. Une
espèce de trou noir aspirant un ego incommensurable. C’est pour cela qu’ils
craignent le temps. Le temps dévalue tout. Le mythe se crée par l’arrêt du
temps. Ils ont donc un besoin insatiable de « tuer » le temps.
L’artiste qui parvient à vivre avec le temps meurt. Je prends toujours
l’exemple de Jimi Hendrix ou de Kurt Cobain. Ces artistes sont devenus des
mythes, car dans leur vivant ils ont tué le temps, et avec leurs morts ils se
sont immortalisés, ils ont réussi à vivre dans le temps. Dans l’autre sens,
considérons Robert Plant, chanteur du groupe mythique Led Zeppelin. Après avoir
atteint son apothéose, il ne lui resta plus qu’à tomber, car le temps c’est la
chute inéluctable. Il devient un chanteur banal aujourd’hui entouré d’une auréole
de souvenir, sa seule bouée de sauvetage. Un Bob Marley âgé de 60 ans et pesant
90 kilos serait un cauchemar. Comment ces gens-là ont-il appris à entrer dans
l’intemporel, de passer du moi au « Lui ». Tout d’abord, la musique.
L’art généralement, la musique particulièrement, sont une de ces passerelles
qui vous font passer de l’autre côté du fleuve. Du côté ou le temps ne passe
plus. En fait, quand j’y pense, il est logique de constater que toutes ces
« passerelles » sont des interdits du « moi ». Car le moi,
c’est par excellence l’ordre établi, le conservatisme, les valeurs. Le
« moi » cherchera toujours à condamner son rival antagoniste, le
« Lui ». Le « moi », doucement et insidieusement, va
s’approprier certaines éléments révolutionnaires du « Lui » pour
réussir à garder son charme et son attrait (l’antagonisme musique classique et
black métal par exemple). Le « moi » est normatif. Le
« moi » c’est le droit commun aussi. C’est le politiquement correct
admis de tous. C’est la société. Il est donc logique (ah que je hais la
logique !) que les expressions du « Lui » ne soient pas bien
vues de la collectivité. La musique, la drogue, l’alcool, le sexe. La société
aime le temps, car elle doit maximiser son profit, et pour le maximiser il faut
que la journée, entité totalement temporalisée, soit « remplie ».
Tout ce que j’ai cité est une passerelle vers l’intemporel et donc gêne la
maximisation. La maximisation me gêne.
Tuer le temps... Y'a t-il quelque chose de plus beau ? J'aime m'asseoir dans un grand fauteuil confortable, écouter Satie ou Chopin, boire, fumer et m'oublier. Sourire, pleurer, fixer l'autre bout de la chambre. Passer ainsi des heures. Pourquoi ? Le temps, l'heure, le « il me reste 5 minutes »; « il ne faut pas que je tarde ». Ces phrases sont répugnantes. Ces phrases me tuent lentement. Or si je voulais mourir, autant se tuer. Mais c’est cela la vie, il doit y’avoir des morts pour avoir des vivants. Moi, j’aime le temps mort. J’aime tuer le temps. J’aime m’oublier et les oublier. Passer des heures… Non pas des heures. S’oublier dans les bras d’une fille. Dormir. Se réveiller. Perdre la notion du temps. Les baisers et les caresses sont le bras de l’intemporel. Regarder sa montre en faisant l’amour ? Cela mérite la peine de mort. Y’a-t-il plus honteux ? Non. Pleurer. Pleurer seul. Regarder le soleil se lever. L’instant où le frisson parcourt tout le corps. La volupté. Les larmes. Encore oui. Les larmes sont tellement belles. Une fille qui pleure un départ. Une grand-mère qui oublie ses petits-enfants. Les larmes des petits-enfants. J’aime mordre dans les glaces aux fraises faites maison. Laissez moi pleurer en paix. Je ne pense pas qu’il y ait pire qu’une fille qui essaie de m’empêcher de pleurer. Regarde-t-on l’heure quand on pleure ?